mardi 2 juin 2009
dimanche 17 mai 2009
De la fiabilité de Wikipedia
Des journaux piégés par une fausse citation sur Wikipedia
Pour démontrer le mauvais usage du Web que peuvent faire les journalistes, un étudiant a ajouté à la page consacrée à Maurice Jarre des propos inventés. Une citation reprise par de nombreux quotidiens anglo-saxons.
C'est une citation qui s'est retrouvée dans les colonnes des quotidiens et des blogs anglo-saxons du monde entier. Lors de la disparition fin mars du musicien français Maurice Jarre, plusieurs journaux anglais, comme The Guardian et The London Independent, mais aussi de prestigieux quotidiens indiens etaustraliens, reprennent dans leurs nécrologies une pensée «poétique» de l'artiste : «On pourrait dire que ma vie elle-même a été une musique de film. La musique était ma vie, la musique m'a donné la vie, et la musique est ce pourquoi je vais rester dans les mémoires longtemps après que je quitterai cette vie. Quand je mourrai, il y aura une dernière valse jouant dans ma tête, que je pourrai seul entendre». Problème, cette phrase n'a jamais été prononcée par le compositeur, disparu à 84 ans des suites d'un cancer.
Elle est issue de l'imagination de Shane Fitzgerald, un jeune homme de 22 ans étudiant la sociologie et l'économie à University College Dublin. L'étudiant irlandais a révélé mercredi avoir berné la presse en publiant de fausses citations sur Wikipedia.
A la recherche d'un sujet d'exposé pour son cours sur la globalisation, l'étudiant décide de démontrer à quel point les journalistes sont dépendants des informations circulant sur Internet, en faisant une petite expérience pratique sur Wikipedia, «site consulté par de nombreux journalistes». Peu après la mort du compositeur de «Lawrence d'Arabie», il publie sur la version anglaise de l'encyclopédie en ligne cette fameuse citation. Wikipedia se montre méfiante, la citation n'ayant pas de sources, elle la supprime. Mais déterminé, Shane Fitzgerald la reposte. A son troisième essai, la déclaration apocryphe échappe à la vigilance des modérateurs et reste vingt-cinq heures en ligne. Assez pour être reprise notamment par The Guardian, The London Independent, BBC Music Magazine ou le Daily Mail.
Scrupules éthiques
Ce succès a dépassé toutes les espérances de Shane. «Je ne m'attendais pas à ce que ça aille si loin. Je m'attendais à ce que ça se retrouve sur des blogs ou des sites, mais par sur des journaux de qualité», a-t-il déclaré à l'Irish Times. Toutefois le jeune homme confie s'être posé des questions sur l'éthique d'une telle démarche. «Avais-je le droit d'utiliser la mort de quelqu'un pour pratiquer cette expérience sociale ? Mais lorsque que j'ai appris à la télé sa disparition, j'ai su que j'avais le bon sujet, une nouvelle sur laquelle les journalistes seraient sous pression pour écrire vite. J'ai donc essayé de trouver une phrase qui ne porterait pas préjudice à la réputation de Maurice Jarre», se rappelle-t-il.
A la grande surprise de l'étudiant, qui finalement change de sujet d'exposé, les semaines passent et les journaux ne se rendent compte de rien. Shane décide alors de leur révéler par e-mail la supercherie. Le Daily Mail et le BBC Music Magazine ont depuis retiré la citation, qui reste cependant visible sur denombreux sites. The Guardian a lui non seulement publié un erratum mais aussi un article à ce sujet.
«Le moment choisi par Shane pour mettre en ligne son canular ne pouvait être mieux choisi. Shane a modifié la page Wikipedia de Maurice Jarre dans la nuit, quelques heures après l'annonce de son décès [révélée vers 23 heures, heure de Paris le dimanche 29 mars]. Nous avons donné le sujet le lendemain matin à un journaliste qui n'avait que quelques heures pour rédiger son papier», a reconnu le quotidien. «Ce qui est inquiétant c'est que n'avons découvert le pot aux roses que parce que l'auteur de cette farce s'est dénoncé». «Toutefois, la morale de l'histoire n'est pas que les journalistes doivent cesser de regarder Wikipedia mais qu'ils ne devraient pas reproduire des informations dont ils ne peuvent retracer l'origine», ajoute The Guardian, qui regrette que Shane Fitzgerald ait attendu un mois avant de révéler la vérité.