dimanche 17 mai 2009

La société de consommation




Il est un objet dont l'usage nous paraît évident mais qui est emblématique de la société de consommation instaurée lors des Trente Glorieuses : le caddie. Grâce à lui, la ménagère peut faire des courses en quantité au supermarché. Elle peut les ramener chez elle 
grâce à sa voiture et les conserver grâce au frigidaire... mais aujourd'hui notre caddie à roulette est concurrencé par un adversaire de poids : le caddie virtuel. Quelques textes pour découvrir cette histoire :



Les origines du Caddie
Oklahoma. 1937, Sylvan N. Goldmann, épicier, a déjà abandonné les vitrines et le comptoir pour convertir son échoppe en 
libre-service. Mais il remarque que le client cesse d'attraper les articles en rayon quand son sac à provisions commence à lui peser au bout
 du bras. Dans un premier temps, notre bonhomme a donc l'idée de flanquer chaque acheteur d'un employé chargé de porter les emplettes. Et puis un jour, voya
nt un panier posé sur une chaise, il a l'illumination. Il suffit de mettre des roulettes à la chaise, et le tour est joué, mon client devient autonome, se dit-il. 
Le premier chariot était né : une sorte de chaise pliante à roulettes sur laquelle les gens posaient leur panier pour faire le tour du magasin. L'ancêtre trône désormais au musée national de l'Histoire américaine à Washington, tandis que sa nombreuse descendance a envahi notre quotidien, devenant la figure emblématique de la société de consommation (…).
Rudolf Wanzl de Düsseldorf, est le premier en Eur
ope, à se lancer dans la fabrication de chariots. Aujourd'hui, le coup d'œil dans le rétroviseur trouble cet homme de 75 ans, qui vient juste de lâcher la direction opérationnelle de son entreprise à son fils. En 1947, avec son père et un apprenti, il commence la fabrication de chariots pliants équipés de deux paniers amovibles. Cinquante ans et quelques innovations plus tard, il en sort un million par an et revendique le titre
 de leader mondial.

«J'ai tout de suite compris que ça allait marcher du feu de Dieu», explique-t-il. En 1948, le Deutsche Mark remplace le Reichsmark, et les Allem
ands affamés reçoivent 2 tickets de rationnement de 60 marks. «Avant, les gens n'avaient pas d'argent et c'était le règne du marché noir», se souvient Rudolf Wanzl. D'un seul coup, les vitrines se garnissent. Quelques mois plus tard, une coopérative de Hambourg ouvre un vrai libre-service : 276m2, 600 articles proposés... 

Jacqueline Coignart, Libération, Les objets du siècle, 1999


Le développement du caddie et des hypermarchés 1960-
1980
En Alsace, un rival s'active. Raymond Joseph, amateur de golf, dépose une version francisée du
mot «caddy» pour son modèle de chariot qui sort en 1957. Comme Frigidaire, le nom s'impose... mais chez les seuls Français. Le mutique Alsacien, qui sait ce
 que brevet veut dire, ne sort de sa réserve que pour réclamer des royalties aux imprudents utilisateurs de son nom déposé. Ce qui ne l'empêche pas de prospérer. Basés à Schiltigheim, près de Strasbourg, les Ateliers réunis Caddie sont portés par la modernisation du commerce dans l'Hexagone. Un premier super de 750 m2 s'installe dans le XVIIe arrondissement de Paris au printemps 1957, et c'est l'inflation des surfaces jusqu'à l'ouverture, en 1963, du Carrefour de Sainte-Geneviève-des-Bois (2 300 m2).
Voitures, réfrigérateurs et congélateurs se démocratisent. Les chariots se multiplient, gagnent en profondeur. Les hypers succèdent aux supers. Wanzl, qui a déjà débordé sur la Suisse, l'Autriche et le Danemark, décide de lancer une offensive en France en 1981. Il implante une usine à Sélestat..., soit à dix kilomètre des Ateliers réunis Caddie.

Jacqueline Coignart, Libération, Les objets du siècle, 1999Questions


Planète consommation de masse
Plus de mille hypers 

En 1996, on comptait en France: 1 106 hypermarchés (dont 515 de plus de 5 0
00 m2), 6 290 supermarchés et 1 613 maxi discomptes.
87 % des ménages français se rendent dans une grande surface ou un maxi discompte au moins une fois par semaine. Dans l'alimentaire, leur poids est écrasant: 68 % de part d
e marché. Mais les grands distributeurs, à l'instar de Leclerc
, qui entend devenir le premier libraire ou le premier joaillier du pays, ne veulent pas se cantonner à l'alimentaire et se jettent sur tout marché «porteur»: l'informatique, les produits de beauté...

Voitures, chariots, frigos...
Inutile d'entasser des monceaux de victuailles dans un chariot si on ne peut pas les rapporter à la maison, puis les conserver jusqu'à l'ingestion. La voiture et le frigo sont donc les deux prolongements naturels du chariot, et la diffusion des uns a naturellement accompagné celui de l'autre. En 1953, seulement 21 % des ménages possédaient une voiture; ce taux est passé à 70 % en 1981, et à 78 % en 1998 (28 % en ont même une 
deuxième). Dans l'intervalle, le taux d'équipement en réfrigérateur est passé de 19 à 99 %.

Jacqueline Coignart, Libération, Les objets du siècle, 1999


Véhicules «intelligents» 
L'épicerie de demain est déjà sur le Net. Le chariot est personnalisé et stocke des infos sur le client. Il a perdu ses roues en basculant sur l'Internet. Mais, à la différence de son cousin, vulgaire objet métallique du commerce physique, il est intelligent. Le chariot virtuel ne transporte pas que des pâtes, des biscottes ou des pots de yaourt. Il emmagasine des paquets d'informations sur le client, ses goûts, ses habitudes, son po
uvoir d'achat. Et il s'en souvient. C'est même dans sa mémoire que les hypermarchés en ligne vont puiser pour donner à leurs clients l'impression qu'ils sont uniques.
Pour le moment, son usage n'est pas très répandu. Mais, en se promenant dans les allées des quelques supermarchés du Web, on peut déjà se faire une idée de ses capacités. Wal-Mart.com, par exemple. Le numéro un mondial de la distribution a déjà plus de 500 000 références disponibles sur son site. Un clic sur le produit de son choix, et le chariot, ou du moins son avatar logiciel, se remplit. Jusque-là, rien que de très banal. C'est à la deuxième visite que le chariot dévoile ses vertus (ou ses vices). A peine est-on connecté au site que le distributeur reconnaît son client. Il a laissé des traces en se baladant, la fois précédente. Aucune de ses hésitations au rayon café ou à l'hygiène beauté et bien sûr aucun
 de ses achats n'ont donc été ignorés. Si on sait qu'en plus, le client a rempli un questionnaire avant de pouvoir commencer ses courses, cela fait déjà beaucoup de choses dans la mémoire du chariot.
Désormais détenteur d'une kyrielle d'informations sur chacun de ses clients, le supermarché pourra même lui soumettre un chariot personnalisé, rempli au préalable des produits qu'il a l'habitude de choisir: sur une page web, le consommateur retrouvera ses mets et marques favoris. Il ne restera plus qu'à ajouter ou à retrancher certains produits. d'ici à 2005, un tiers des ventes d'agroalimentaire se fera via l'Internet. L'un comme l'autre pensent que les babyboomers devenus des agingboomers, fatigués de porter des 
paquets et de pousser de vrais chariots dans les allées des grandes surfaces, feront leurs courses sur l'Internet.

Jacqueline Coignart, Libération, Les objets du siècle, 1999




Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire